Problèmes de fentes et d'éclatement du Bambou

Aussi bien pour la clarinette en bambou que pour le sax soprano, j'ai eu des soucis avec les bambous qui se fendaient. J'ai réussi à réparer mais au détriment de l'esthétique des instruments, et surtout je me demande si un de ces jours le même problème ne va pas ressurgir. Il devenait donc urgent pour moi de comprendre ce qui se passait et de trouver des solutions.

Introduction

La clarinette et le sax en bambou que je vous ai déja présentés ont tous les deux au des problèmes de fente, voir d'éclatement presque complet du bambou. Ce problème restait pour moi incompréhensible dans la mesure où le séchage était réalisé correctement. Dans le cas de la clarinette, la perce avait été saturée d'huile d'amande douce. Je pensais naïvement que saturer la perce en huile constituait une barrière efficace à la vapeur d'eau. Devant la persistance de ces problèmes, j'ai fait quelques recherches pour essayer de mieux comprendre ce qui se passait, et il s'avère que mon approche du problème était complètement fausse, d'où des solutions inadéquates et une protection inopérante. Je vous propose donc de partager un peu le fruit de mes lectures sur les problèmes d'éclatement du bois en général, et du bambou en particulier.

Une grande partie de ce qui est écrit ici provient majoritairement des sites suivants :

Le tout est repris avec des ajouts liés à ma propre compréhension des phénomènes décrits.

Je ne prétends pas à l'exhaustivité de l'information sur les problèmes d'éclatement et des moyens employables pour l'éviter. Simplement j'ai essayé de compiler ce que j'ai glané ça et là et qui me parraisait cohérent. Si vous voyez des inexactitudes dans ce qui suit, signalez les moi, je suis toujours intéressé par des informations et des connaissances plus exactes que les miennes.

Note du 1er Février 2009 : j'ai fait une petite révision de cet article pour le caler sur tout ce que j'ai appris depuis sur le sujet.

Pourquoi le bambou se fend-il ?

le fait qu'un instrument à vent se fende ou pas dépend de pas mal de paramètres mais principalement de l'équilibre de l'humidité dans le bois. Si la répartition de l'humidité est trop déséquilibrée entre l'intérieur et l'extérieur, une fente peut se former. Le fait que dans des conditions identiques un morceau de bambou va se fendre et pas un autre dépend essentiellement de la dureté et de la vitesse de transmission de l'humidité. Le bambou contenant beaucoup de silice, la dureté varie d'un chaume à l'autre.

Malgré le fait que le bambou ne soit pas un bois mais un chaume, les deux se comportent de la même façon dans beaucoup de situations : ils peuvent être cintrés, ils sont hygroscopiques, ils sont structurés par des cellules de type identique, ils contiennent de la lignine, ils peuvent se fendre, etc. Tant qu'on regarde les choses du point de vue de l'ingéniérie et du travail de ces matériaux, on peut les considérer comme similaires. Bien sûr, la structure physique des deux matériaux est très différente.

Les caractéristiques d'un chaume changent avec son age. Au fur et à mesure de sa croissance, le chaume perd de son humidité, les parois se renforcent et la plupart du sucre se transforme en amidon. Quel est donc l'age idéal du bambou pour en faire des instruments ? Les bambous ayant poussé sur des sols pauvres, des climats plutôt frais sont probablement meilleurs.

Comment faire fendre un instrument ?

Pour commencer, un fait simple : l'apport d'humidité fait gonfler le bois, alors que la suppression d'humidité le fait se contracter. Considérons l'exemple ci-dessous, comprenant un morceau de bois plein et un morceau de bois creux. Dans le cas du morceau plein, la vapeur d'eau ne peut s'échapper que par la surface extérieure. De ce fait, la surface externe se contracte toujours plus vite de la surface intérieure. Dans le cas du tube, la vapeur peut s'échapper aussi bien par l'extérieur que par l'intérieur. Si l'épaisseur de la paroi est très fine, l'aire des surfaces internes et externes est quasiment identique, et donc la contraction est quasiment la même. Le morceau solide a tendance à se fendre alors que le morceau creux non.

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Figure 1 : Cylindre de bois plein et cylindre creux

Nous venons de mettre à jour un principe fondamental : Le morceau plein se fend et le morceau creux ne se fend pas. Dans le cas du morceau plein, le séchage (la contraction) est très inégale alors que dans le cas du tube, les contractions externes et internes sont presque identiques. Donc, ce n'est pas le séchage qui engendre les fentes, c'est la contraction (ou l'expansion) non homogène. La compréhension de ce principe permet d'éviter la plupart des fentes sur les instruments (si j'avais su ça plus tot !). Si le bois d'un instrument perd (ou gagne) de l'humidité à un taux uniforme à l'intérieur et à l'extérieur, il ne se fendra pas (il ne peut pas se fendre).

Comment assurer un séchage homogène

Il faut s'arranger pour que les surfaces internes et externes laissent passer la vapeur d'eau de façon similaire. Une solution encore meilleure consiste à faire en sorte que les surfaces internes et externes soient toutes deux fortement imperméables à la vapeur d'eau. De cette façon, qu'importe que l'instrument sèche au cours du temps, tant que la contraction est lente et homogène. Donc, la meilleure chose à faire n'est pas d'acheter des produits humidifiants et de contrôler en permanence l'hygrométrie de l'instrument, mais d'appliquer une bonne barrière à la vapeur à l'intérieur et à l'extérieur de l'instrument ou, à défaut, un bon frein à cette vapeur. À partir de la, plus besoin de se poser de question, vous pouvez emmener l'instrument n'importe ou dans n'importe quelle condition d'hygrométrie et de température, les deux surfaces transmettant de façon égale la vapeur d'eau, en évitant ainsi les contractions et les expansions non uniformes.

Parmi les produits utilisables pour créer une barrière ou un frein à la vapeur, on trouve les huiles, qui sont les produits traditionnellement utilisés. Aujourd'hui, pour les hautbois ou les clarinettes, les huiles de perce utilisées sont souvent à base d'huiles minérales et d'additifs. J'avoue ne pas savoir quels genre d'additifs sont utilisés, si ce n'est qu'il s'agit de produits hydrofuges1. Ici, j'essaierai de vous décrire comment utiliser des huiles naturelles, utilisées depuis longtemps pour les instruments en bambou, comme les shakuhachis japonais.

Ajout, Février 09 : Dans les faits, une huile ne crée pas une barrière étanche à la vapeur, mais elle freine efficacement le passage de celle-ci, régulant ainsi la vitesse de changement d'hygrométrie entre intérieur et extérieur. Des dires d'un spécialiste, la seule barrière à la vapeur efficace est le PTFE (le téflon autrement dit).

Les huiles

Nous avons vu précédemment que l'important était de créer une barrière ou un frein efficace à la vapeur d'eau sur la surface intérieure comme sur la surface extérieure. L'huile en soi ne va pas empêcher un instrument de se fendre, les paramètres engendrant les fentes étant multiples. Cela tord le cou à une idée fausse et répandue comme quoi huiler une flûte (ou une clarinette, etc.) l'empêche de se fendre.

Enduire un instrument d'huile d'olive (si, si j'ai déjà vu trainer ce genre de « recommandation » pour des flûtes à bec) est probablement la dernière chose à faire. Comme nous le verrons plus loin, l'huile d'olive est très mauvaise comme barrière à la vapeur. Elle va pénétrer dans le bois, mais elle n'empêchera pas l'eau de rentrer. Oubliez aussi l'huile d'amande douce, elle ne vaut guère mieux. (j'en ai fait la cruelle expérience). Je vais peut être me répéter mais en même temps cela me permet d'introduire un nouvel élément : il ne s'agit pas d'imprégner complètement le bois (ou le bambou), mais de créer une barrière.

Un certain nombre d'huiles on la propriété de sécher (de siccativer en fait), pour former un film adhésif et résistant, soit par elles même soit avec l'aide d'un catalyseur. Ces huiles ne « sèchent » pas au sens commun du terme, c'est à dire par évaporation d'un ingrédient volatile, mais par oxydation, autrement dit par absorption d'oxygène. C'est pour cela que nos amis chimistes préfèrent utiliser le terme siccativer, et non pas sécher. Le processus de siccativation s'accompagne d'un certain nombre d'autres réactions chimiques, et le film sec qui en résulte est une nouvelle substance dont les propriétés physiques et chimiques diffèrent de l'huile à l'état liquide d'origine.

On distingue deux types d'huiles fondamentaux :

  • Les huiles saturées, qui sont incapable de passer à l'état solide. Leur propriété de saturation fait qu'elles ne se mêlent pas à d'autres corps.
  • les huiles insaturées, qui sont des huiles liantes, et qui ont la propriété d'être siccatives.

L'insaturation d'un corps gras dépend du nombre de doubles liaisons qu'il contient. Une huile monoinsaturée (une seule double liaison) est semi-siccative, une huile biinsaturée (deux doubles liaisons) est siccative et une huile triinsaturée (trois doubles liaisons) est hyper siccative. Dans les faits, d'autres facteurs jouent sur la siccativité, tels la présence d'autres corps, la forme des molécules et la position des doubles liaisons dans les chaînes moléculaires.

Il est aussi possible d'ajouter des substances apportant de l'oxygène supplémentaire. Il s'agit de métaux oxydés tels que le plomb, le manganèse, le cobalt, le zirconium et d'autres matières non métalliques appelées siccatifs.

Toute huile naturelle est composée de proportions variées de corps gras. Les acides les plus courants dans les esters sont l'acide linoléique, très présent dans l'huile de lin, ainsi que ses isomères dont l'acide linonénique et l'acide oléique, nettement plus saturé. Notons qu'une huile qui siccative vite ne donne pas nécessairement un film solide.

L'acine linoléique et ses isomères ont la propriété de se combiner spontanément avec l'oxygène de l'air pour amorcer une chaîne de réactions qui se termine avec la conversion en une pellicule dure, insoluble, durable, étanche à l'eau et plastique connue sous le nom de linoxyne (oui oui c'est avec ça qu'on fait le linoléum !).

La table ci-dessous liste les huiles accompagnées de leur « valeur de iodine » qui est un indicateur chimique indiquant le pouvoir siccatif d'une huile. Les huiles non siccatives ne durcissent jamais et restent souples et gommeuses.

Huiles siccatives Huiles semi-siccatives Huiles non siccatives
Lin - 179 Maïs - 123 Pépins de raisin - 100
Abrasin - 168 graine de coton - 106 Abricot - 100
Noix - 145 sésame - 106 Amande - 95
Carthame - 141 faine - 104 Arachide - 93
Pavot - 135   Camélia - 83
Soja - 130   Olive - 81
Tournesol - 129   Palme - 54

À partir de là, quelle huile utiliser ? Les choix qui semblent s’imposer sont l’huile de lin et l’huile d’abrasin, encore appelée huile de Tung, ou de Toung ou de Tong. On peut parfois la trouver sous le nom « huile de bois de chine » mais il semblerait que parfois il ne s’agisse pas exactement du même produit. Il y a visiblement pas mal de controverse sur la terminologie concernant cette huile si on en croit certains sites2. En tout cas elle est difficile à trouver. Je suis sur la piste de quelques fournisseurs3 dont je vous reparlerai dès que je me serai assuré de la composition exacte des produits vendus. Il semblerait qu’on puisse en trouver des formes polymérisées. En revanche, si on en crois cet autre site4, il s’agit de l’huile traditionnellement utilisée pour les shakuhachi, quoi que l’auteur cite aussi l’huile de noix et l’huile de lin comme alternatives viables (en terme de pouvoir siccatif).

Traditionnellement, l’huile de lin est l’huile de prédilection pour la peinture à l’huile. L’huile d’abrasin est plutôt utilisée pour la finition du bois. Ces deux huiles se trouvent dans le commerce sous forme polymérisée ou non, quoi qu’il soit visiblement assez difficile de trouver de l’huile de lin non polymérisée5. L’huile de noix semble se trouver uniquement sous forme non polymérisée.

La différence entre les huiles polymérisées (en fait partiellement polymérisées) et les huiles non-polymérisées est que les premières sèchent plus vite. Une huile polymérisée sèche en 10 à 24 heures environ. Une huile non polymérisée met environ 75 à 90 jours. De plus, les huiles non polymérisées on besoin de lumière pour siccativer. Des instruments huilés puis rangés ne vont pas arriver à siccativer correctement. Les bonnes conditions de siccativation sont :

  • température de la pièce ;
  • humidité « normale » ;
  • lumière substantielle (mais indirecte).

Une exposition directe aux rayons du soleil est néfaste. Le film risque de siccativer trop vite et de craqueler.

D’une façon générale, utiliser une huile ayant une valeur de iodine inférieure à 140 ne sert strictement à rien : l’huile ne siccativera jamais suffisamment pour créer un frein à la vapeur efficace.

Quoi qu’il en soit, même l’huile d’abrasin n’arrivera jamais à la cheville d’un vernis (alkyde, phénolique ou polyuréthane) pour ce qui est de constituer une barrière à la vapeur.

À savoir enfin, une finition huilée exécutée correctement doit durer une dizaine d’années environ.

Fabriquer un « fentomètre» 

Voici un truc utile que vous pouvez utiliser avec un maximum d’efficacité si vous construisez vous même votre instrument. Il faut prélever sur le bambou qui a servi à construire l’instrument un anneau (1 ou 2cm de long, c’est largement suffisant). Ensuite, appliquez lui les mêmes traitements que ceux que vous avez appliqués à l’instrument sur la surface intérieure comme sur la surface extérieure. Fendez le, puis conservez le avec votre instrument. L’évolution de la fente sera pour vous un indicateur des tensions présentes dans le bois de votre instrument. Si la fente est étroite, c’est que l’instrument n’est pas soumis à beaucoup de tensions. Au contraire, si la fente s’élargit, c’est que l’instrument subit de fortes tensions, et les chances qu’une fente apparaisse sur celui ci sont d’autant augementées. Dans ce cas, c’est peut être que votre barrière à la vapeur est inefficace, au moins sur une des deux surfaces.

En guise de conclusion

Le principe de base à retenir est que la raison qui pousse le bambou à se fendre est la variation d’humidité non homogène. À partir de là, la meilleure approche pour empêcher ce phénomène est de s’assurer que la paroi intérieure et la paroi extérieure échangent l’humidité avec le milieu ambiant à une vitesse similaire. Pour cela, vous avez le choix entre les finitions huilées, uniquement en utilisant l’huile d’abrasin ou l’huile de lin qui sont les seules huiles siccatives qui se comportent correctement comme barrière à la vapeur (encore une fois elles n’assurent pas non plus une étanchéité à la vapeur complète), ou les finitions vernies (polyuréthane, phénolique ou alkyle).

De ce que je retiens en tout cas, hors de ces solutions point de salut, et les solutions parfois entendues et à éviter sont :

  • huiles non siccatives (olive, amande, ...) : jamais ! Elles n’offrent aucune protection à la vapeur, et ne protègent rien du tout puisqu’elles ne sont pas siccatives.
  • contrôler en permanence l’hygrométrie de l’instrument : non ! L’apparition de fentes n’est pas due à l’hygrométrie du matériau mais à une variation non homogène de l’hygrométrie.

Que cela ne vous empêche pas de bien essuyer l’instrument après usage, pour éviter justement une stagnation d’humidité dans la perce, pouvant éventuellement entrainer une variation de l’hygrométrie non homogène avec l’extérieur (particulièrement avec une finition huilée en fin de vie).

Voila. Y’a plus qu’à quoi. Je vous tiendrai au courant dès que j’aurai récupéré de l’huile d’abrasin. Je ne vais pas encore tenter les vernis car d’une huiler la perce me parrait plus facile que de la vernir, et d’autre part j’aimerai voir si un composant naturel offre une protection suffisante, auquel cas je préfère m’en tenir là plutôt qu’utiliser des produits chimiques.

Ajout, Février 2009 : suite à l’écriture de cet article, j’ai commencé à utiliser l’huile d’abrasin sur mes instruments en bambou. À partir de là je n’ai plus jamais eu de problèmes de fentes.

Ajout, Septembre 2017 : j'ai rectifié quelques coquilles avant de porter cet article sur la nouvelle version du site. J'ai signalé les liens morts aussi.

Notes de bas de page:

1

Ernest Ferron, « Clarinette mon amie », IMD éditions

2

Je parlais du site www.dotapea.com qui a disparu.

3

On en trouve sur ce site.

4

Je parlais du site www.navaching.com qui a disparu lui aussi.

5

On en trouve une fois de plus sur ce site.

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